Le Lavage de la Madeleine : De Bahia à Paris
Pep Pastor / Claire Grinstein
Une jeune fille, venue de la banlieue ouest, descend du taxi qui l’a déposée Place de la Madeleine. Son but : faire des achats chez Fauchon. Soudain, elle entend les tambours de la batucada, elle voit un défilé arriver, au loin, un âne noir géant danse parmi des femmes habillées en blanc.
Elle attend. Maintenant, elle écoute le son des berimbau que jouent les capoeiristes. Derrière les combattants se précise une scène atemporelle, un homme habillé à la mode du XVIIIe siècle français, perruque incluse, porte un étendard où est brodée l’expression Oju Obá (Les Yeux du Roi). Il précède un groupe de femmes vêtues de robes colorées qui dansent autour de deux personnages coiffés d’une couronne royale. La jeune fille oublie l’épicerie fine et se faufile, armée de son smartphone, dans la marée humaine qui suit les brésiliens. Elle voit, appuyée contre la grille qui entoure l’église de la Madeleine, le prête candomblé et son cortège monter les marches de la façade nord de l’église. Le prête catholique l’attend sous le fronton néo-romain. Le rituel se déroule comme prévu, à la fin, les femmes habillées en blanc lavent les marches de l’église avec de l’eau bénite parfumée et des fleurs, entre les cantiques et les cris de Baiana, Baiana. La jeune fille entre finalement chez Fauchon, elle n’a rien compris, elle n’a pas pu tout voir, mais elle a adoré. Elle ne le sait pas, mais elle vient de contempler une vielle histoire, une très vielle histoire.
Le Lavage de la Madeleine à Paris est un rituel de purification qui fusionne des pratiques catholiques et yorubás, en sa version candomblé. Cette célébration parisienne est la reconstitution que fait la communauté brésilienne d’Île de France d’une pratique syncrétique apparue au XVIIIe siècle à Salvador de Bahia, au Brésil : Le Lavagem do Bonfim. Mais, qui sont les yorubás?
La culture Yorubá est vieille de plus de deux mille ans. Elle est née en Afrique de l’Ouest. Des recherches archéologiques attestent la présence de population dès le VI siècle avant l’ère commune dans le site d’Ilé-Ifè (sud-ouest de Nigeria). Par la suite, cette civilisation atteindra son apogée entre le XIIe et XIVe siècle avec un très important développement urbaine et l’épanouissement des arts, notamment avec ses sculptures réalistes en bronze du XIIe siècle. Plus tard, pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, la religion yorubá débarquera en Amérique lors des années de la traite des esclaves, où elle se développa en divers systèmes locaux tels que l’umbanda et le candomblé au Brésil ou la santeria (lukumi) aux Caraïbes. Aujourd’hui la religion candomblé, dédiée au culte des orixás, est pratiquée par trois millions de brésiliens.
Cette religion d’origine africaine et le catholicisme apporté par les portugais se rapprochent dans certains moments. L’un de ces moments c’est le cycle des fêtes pré-carnavalesques, dont leLavagem do Bonfim, qui se déroule sur les marches de l’église bahianaise du Senhor do Bonfim le deuxième jeudi de l’année nouvelle.
La jeune fille est en train de choisir une boîte cadeau tandis que la fête brésilienne continue à l’extérieur de l’épicerie de luxe. L’écho amorti de la musique pénètre à l’intérieur de la boutique. Les images colorées du rituel se mélangent dans sa tête avec les pyramides de macarons fruités. Elle croit avoir vu, parmi la foule, des dames en blanc balayant les marches de l’église, mais elle n’est pas sûre, il y avait beaucoup de monde.
Ce qu’elle a vu, c’est la partie la plus sacrée du rituel, le moment où les deux cultures, la chrétienne et l’afro-brésilienne fusionnent. Le lavage des autels d’Oxalá des terreiros, les lieux de culte du candomblé, est une pratique de purification très habituelle. Cette cérémonie est dénommée les Eaux d’Oxalá. Cependant, laver le sol des églises est aussi une pratique ancienne de dévotion catholique populaire. Michel Agier, dans son travail de recherche sur l’anthropologie du carnaval, cite PierreVerger : « les descendants d’africains, mus par un sentiment de dévotion, tant au Christ qu’au dieu africain (Oxalá), firent un rapprochement entre les deux lavages; celui des autels d’Oxalá et celui du sol de l’église qui porte le nom catholique du même orixá »
La jeune fille, chargée de sacs roses, attend un taxi. A quelques dizaines de mètres, Pai Raimundo, le prêtre du terreiro Íle Axé Oju Oniré de Santo Amaro da Purificação de Bahia, lave la tête des fidèles du candomblé avec de l’eau bénite. Derrière lui, l’âne noir danse au milieu de la foule, tandis que l’un des organisateurs, debout sur un bus décapotable, prévient les assistants du rappel de la police : la célébration doit se terminer à quinze heures. Le taxi arrive, il reste encore du temps pour une dernière photo.
Vidéo du Lavage de la Madeleine à Paris. 23 septembre 2012
Si vous voulez en savoir un peu plus sur le sujet, voici une petite bibliographie :
AGIER, Michel, Anthropologie du carnaval: la ville, la fête et l’Afrique à Bahia, Coédition Editions Parenthèses / Institut de Recherche pour le développement, Marseille. 2000
AKINTOYE, S. Adebanji, A History of the Yoruba People, Dakar, 2010.
MUTO, Eliza, Símbolo do sincretismo religioso da Bahia, Revista História Viva, pg. 97. Editora Duetto, Sao Paulo. 2004.
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