Le Temazcalli mexicain: voyage au ventre de la Mère Terre
Pepe Pastor / Perrine Baldellou
Et s’il était possible de renaître ? Nous avons eu la réponse à cette question le jour où nous avons rencontré pour la première fois Pablo Flores Cuautle, doctorant en sociologie et temazcalero, qui vit à Paris depuis plus de cinq ans. Il avait plu le matin même à Montreuil et la pelouse du jardin de la Parole Errante était encore mouillée et quasi-déserte. On interpella l’un des participants qui nous montra du doigt quelqu’un qui bougeait, accroupi sous les branches d’un arbre.
Un jeune homme qui portait un tee-shirt vert floqué d’une étoile rouge était en train de sélectionner les feuilles d’ortie pour l’infusion qui allait être utilisée lors du bain de vapeur du temazcalli. Au milieu du jardin trônait un bûcher où l’on y faisait réchauffer quelques pierres volcaniques. Non loin de là, deux des participants érigeaient une petite hutte circulaire faite de branches et couverte d’une bâche. Pablo s’approcha du feu portant une casserole pleine d’eau et qui contenait les feuilles d’ortie nécessaires à l’infusion. On attend toute la journée pour commencer, me dit-il en souriant, la pluie ne nous a pas laissé faire.
Le temazcalli (du nahuatl, temaz : vapeur et calli : maison ; le mot s’applique aussi bien le lieu que pour le rituel) est un bain de vapeur d’origine préhispanique nécessitant quelques heures de préparation, d’autant plus si le temazcalli est à caractère éphémère. D’après la thèse de Gonzalez Mariscal, le premier constat d’usage de cette pratique curative parmi les peuples mésoaméricains est attestée parmi les toltèques, une ethnie des X-XII siècles installée au centre-sud du territoire de l’actuel Mexique. Apparemment, le temazcalli n’est que l’un des nombreux types de bains de vapeur attestés depuis l’Age de Pierre dans le monde entier, des ruines de Mohenjo-Daro dans la Vallée de l’Indus aux banja du Nord de la Russie, en passant par les sudatorium romains ou les hammams turques et magrébins.
Cependant, le temazcalli a deux fonctions. Il est utilisé comme hutte de sudation et relève de la médecine traditionnelle. Dans certaines communautés on l’emploi quotidiennement pour une hygiène plus efficace contrairement à l’utilisation commune du gel douche et des substances fabriquées en laboratoire, moins performantes, et qui nettoient seulement la partie la plus externe du derme. Le temazcalli nettoie l’épiderme grâce à la chaleur, en éliminant des toxines par la sueur. Par ailleurs, l’atmosphère étouffante entraîne un effet calmant, une réaction apaisante due aux changements de la pression sanguine, l’augmentation du rythme cardiaque, les respirations et la relaxation des muscles. De plus, la chaleur active la circulation, diminue la rigidité articulaire et soulage la douleur musculaire et certaines inflammations. A tout cela, on peut ajouter aussi l’effet curatif de la vapeur issu de l’eau provenant d’une infusion de plantes médicinales.
C’est très sombre, les sens se relaxent et on se sent flotter, nous dit Pablo,assis sur le sol de la terrasse d’un grand magasin parisien. Le vent soufflait très fort et on eut du mal à entendre les dernières paroles de sa réponse : « là-dedans on éprouve…oui, ce…cette énergie ». Cette pratique préhispanique est aussi une représentation du cosmos mésoaméricain, où le participant prend conscience de sa place dans l’engrenage du monde et de ses liens avec les éléments qui structurent l’univers, la terre, le feu, l’eau, le vent, mais aussi et surtout, il prend conscience de lui-même. Le rituel est un parcours aux multiplesmétaphores cosmiques qui amène le participant vers son propre égo. Il doit traverser symboliquement quatre portes à l’intérieur du ventre de la Mère Terre (la Grand-Mère Toci), un ventre (le lieu où se tient le temazcalli) qui de manière suspecte, reproduit l’ambiance du placenta maternel: obscurité, chaleur, humidité et les battements du cœur, représentés ici par des musiques monotones. Les quatre portes ou étapes du temazcalli sont des moments où le participant peut dialoguer successivement avec le Grand Esprit, sa famille, ses amis, ses ennemies et finalement avec lui-même.
Les participants prennent la parole et disent ce qu’ils ont dans leur cœur, en écoutant Pablo parler sur l’aspect spirituel du rituel, on songeait à ces thérapies de groupe si contemporaines dont les psychologues et les psychiatresenfont un usage habituel. Mais cette idée d’introspection, cette quête de l’égo est beaucoup plus ancienne que les théories freudiennes. Elle fut développée par l’intelligence collective des peuples mésoaméricains, peut-être, pour des raisons d’ordre pratique comme nous disait Pablo, en tant que rituel de préparation à la bataille, ou pour nous permettre d’accomplir ce vieux rêve de l’Homme d’une renaissance lors de sa propre vie. Cette chimère de retourner en arrière et de réinterpréter notre parcours vital est quelque chose dont tout le monde a fantasmé au moins une fois dans sa vie. D’après Gonzalez Mariscal, le temazcalli est un ventre partagé, une niche commune où les participants meurent pour renaître, dans la foulée du feu, du vent, de l’eau, de notre mère la Terre.
Cette pratique traditionnelle est récréée en région parisienne par des membres de la communauté mexicaine dont Pablo est l’un des porteurs. Pour l’instant, cet élément exceptionnel du patrimoine culturel immatériel francilien reste très peu connu. Sa préservation est menacée à cause de la dispersion de la communauté mexicaine, mais aussi par la difficulté de trouver, dans un contexte urbain comme celui de la première couronne parisienne, un espace permanent pour le réaliser. Nous, les autres franciliens, ceux qui n’appartenons pas à la communauté mexicaine pouvons dissiper la première menace en nous intéressant d’un peu plus près au rituel du temazcalli mais pour la seconde menace, il nous faudra prier la Grande Mère Terre.
Si vous avez envie d’en savoir d’avantage sur ce rituel, nous vous avons préparé une bibliographie ; malheureusement la majorité des textes sont en espagnol et en anglais
Basset, Vicent, Du tourisme au néochamanisme: Exemple de la réserve naturelle sacrée de la réserve naturelle sacrée de Wirikuta au Mexique, L’Harmattan, Paris, 2011.
González Mariscal, J. M.,Temazcal: instrumento de armonización. El ejemplo del grupo de temazcaleros de Celaya,Tesis Maestría. Estudios Antropológicos de México. Departamento de Antropología, Escuela de Ciencias Sociales, Artes y Humanidades, Universidad de las Américas Puebla, Puebla, 2007. En ligne
Groark, Kevin P., To Warm the Blood, to Warm the Flesh: The Role of the Steambath in Highland Maya (Tzeltal-Tzotzil) Ethnomedicine Journal of Latin American Lore, 3–96, 1997
Kirchoff, Paul, Principios estructurales en el Mexico antiguo,Volumen 91 de Centro de Investigaciones y estudios superiores en antropologia social, EdicionTeresa Rojas Rabiela,1983
Mejia Gonzalez, Marcial, El Temazcalli, la casa de baño de vapor mesoamericano, Centro Cultural Grupo Mazorca-Calpulli. En ligne
Rojas Alba, Mario, Tratado de Medicina Tradicional Mexicana,Tome 2, 685. En ligne
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